Pour que la poésie vous accompagne…
Un poème à lire et à entendre.
Promener un feu
Avant, j’avais un feu, je l’emmenais partout,
au fond des forêts qui sont des villes,
au coin des cités défenestrées.
Pour le carburant de ce feu, je transformais,
essentiellement, les instances et les oublis des autres
en une essence de moyenne qualité.
L’idée n’était pas en premier lieu d’avoir chaud
ou bien de vous cuire, mes chers semblables.
Si je traînais ce feu toujours avec moi,
c’était pour la seule paresse de la flamme.
Il est toujours rassurant d’avoir l’inutilité pour quête.
On ne peut pas trouver de plus douce façon de se perdre.
Oh, il m’arrivait bien de me brûler. C’est comme les amis
les plus chers : ils vous collent souvent un peu à la peau.
Mais tant de gens autour de nous
s’éteignent pour un rien aujourd’hui, alors…
alors comme on le fait pour un bon chien,
longtemps j’ai fidèlement alimenté mon feu.
Qu’il soit parti un matin est strictement son problème,
qu’il soit parti en fumée était sa façon, nous n’avions
sans doute plus que quelques étincelles à nous dire.
Avant, j’avais un feu, je l’emmenais partout,
au fond des forêts qui sont des villes,
au coin des cités défenestrées.
En ce temps d’incendie, j’y repense parfois.
Carl Norac
In Journal de gestes, © maelström, 2020
Écoutons Georges nous lire ce poème…