L’éponge des mots
Article mis en ligne le 31 mai 2017

par Robert Froger

Voici venu le temps de peu,
celui de la réalité collée aux vitres.
Nous n’avons pas eu tort de croire aux rêves,
ce sont eux qui nous donnent un supplément.

Et l’autre avec sa gueule d’amour
qui dit ne rien savoir de tout cela,
que le monde est une casserole percée
par où s’enfuit le temps compté.

Il aura fallu se soumettre et traverser les frontières
pour survivre, marcher vers le destin du feu
avec l’ardeur de ceux qui n’ont plus rien à perdre.
 

L’éponge des mots
Saïd Mohamed
Couverture de Bénédicte Mercier
Les Carnets du Dessert de Lune, 2012
ISBN 978-2-930607-60-3
12,00 €

Cet ouvrage de Saïd Mohamed est composé de trois parties : Chardons bleus, Mots d’absence et Ici et maintenant.
L’auteur nous le dit dès la première page : "Sans cesse dans ses pas revenir pour laisser une trace." Il nous entraine dans un foisonnement perpétuel de mots et d’images à travers des réflexions sur l’humanité, sur "l’illusion du lendemain", en gardant "l’œil sur le compas des étoiles bienveillantes" tandis que la lassitude, le chagrin, la désillusion nous gagnent. "Un jour sûrement on réussira à dire ce qui nous anéantit".
Dans la première partie, "Chardons bleus", les phrases du début semblent être autonomes, contenir leur propre idée, leur image. Au fil des pages, ces phrases forment des textes propices aux constats, aux interrogations. Les phrases se soudent les unes aux autres pour constituer des pans de vie, inondés de nostalgie, d’enfance lointaine et de temps révolus que même les voyages ne ramènent pas. Leurs mots coulent dans nos veines comme le temps coule dans les rivières.
Dans la deuxième partie, "Mots d’absence", l’auteur nous fait partenaire d’une lente méditation sur la vie, "blotti dans l’absence". Cette méditation est aussi une errance à la recherche de l’autre, à la recherche du plaisir perdu, à travers des territoires, des villes, des rues où l’alcool est présent.
Dans la troisième partie, "Ici et maintenant", l’auteur semble se poser pour faire un bilan, peser "les souvenirs flamboyants qui nous tyrannisent". Il a vieilli, "chaque instant est compté". Il évolue entre espoir, colère et résignation, laissant malgré tout une place à "des offices de tendresse, des regards, des phrases parfois". Un beau livre.
 

Robert Froger